"Ce n'est pas d'ou vous prenez vos idees qui compte, mais ou vous les amenez." Godard
Monday, March 8, 2010
THE TALL T (1957) - LE CULTE DE BUDD BOETTICHER
“ The nice thing about the deaths in my movies was that somebody cared, even the guy who did the killing.” Budd Boetticher
Un des grands plaisirs pour un cinéphile qui se croyait averti, c’est de découvrir l’existence d’un cinéaste dont il ignorait l’existence et de partir à la découverte de sa filmographie. C’est ce qui m’est arrivé ces dernières années avec le réalisateur Budd Boetticher, dont je ne savais strictement rien jusqu’à ce que j’aperçoive son nom dans la liste des films cultes du premier volume de la série des livres CULT MOVIES.
On y mentionnait un western intitulé THE TALL T. Tiens donc ? Un western culte qui n’était PAS réalisé par John Ford (comme THE SEARCHERS, MY DARLING CLEMENTINE), Sergio Leone (ONCE UPON A TIME IN THE WEST), Sam Peckinpah (THE WILD BUNCH), Anthony Mann (MAN OF THE WEST), ou Howard Hawks (RIO BRAVO) mais par un réalisateur dont je n’avais jamais entendu parler ?? Mais qui était donc ce Budd Boetticher, admiré aujourd’hui (comme j’allais le découvrir) par des cinéastes comme Godard, Scorsese, Tarantino et Eastwood ?
Budd Boetticher était un de ces réalisateurs/aventuriers de la trempe de Sam Fuller (voir article ici), Robert Aldrich et autres durs-à-cuire arrivés au cinéma un peu par hasard. Dans le cas de Boetticher, le parcours fut particulièrement surprenant : il fut adopté à la naissance par un riche paternel âgé de 50 ans. Enfant unique et privilégié, tourmenté par ses camarades de classe, il se mit à la boxe pour pouvoir se défendre et devint un athlète accompli jusqu’au jour où une blessure au genou le força à limiter ses activités. La famille partit alors en voyage au Mexique où un évènement allait changer sa vie : il assista à une corrida et devint obsédé par l’idée d’apprendre les rudiments du métier de matador, ce qu’il fit avec beaucoup de talent et de courage. (Cette partie de sa vie allait inspirer le scénario de son premier succès au cinéma : le film THE BULLFIGHTER AND THE LADY (1951) mettant en vedette Robert Stack dans le rôle de Boetticher). L’entrée dans le monde du cinéma se fit tout à fait par hasard, alors que le producteur Hal Roach pensa de recommander Boetticher au réalisateur Robert Mamoulian qui cherchait un assistant pouvant montrer à l’acteur Tyrone Power comment tenir une cape de matador pour le film BLOOD AND SAND (1941). Fort de ce succès, Boetticher gravit ensuite tous les échelons, pour finalement devenir réalisateur de films de série B plus ou moins mémorables. C’est sa rencontre avec l’excellent scénariste Burt Kennedy qui allait tout changer : ce dernier lui écrivit des scénarios dignes de son talent (SEVEN MEN FROM NOW (1956), THE TALL T (1957), RIDE LONESOME (1959), COMANCHE STATION (1960), que Boetticher réalisa en y ajoutant sa touche bien personnelle d’humour et de considérations philosophiques sur le bien, le mal et les conséquences de nos actions.
C’est ce qui différencie les westerns de Boetticher de la majorite des autres westerns de serie B qui se faisaient à l’époque : les protagonistes, qu’ils correspondent au cliché des bons (l’omniprésent Randolph Scott, symbole même de la rectitude morale) ou des "mechants", demeurent des personnages complexes qui prennent souvent le temps de se remettre en question.
C'est le cas de l'excellent THE TALL T (1957) (Ne vous laissez pas décourager par les 15 premieres minutes du film qui comportent les pires éléments des westerns de l'époque : musique ringarde et humour à la Walt Disney ! Le récit démarre vraiment 20 minutes plus tard - voir l'extrait Youtube no. 3). Randolph Scott et un couple de nouveaux mariés sont kidnappés par trois truands (menés par Pat Boone). Dans le dialogue qui suit (3:32 à 5:18), le truand est présenté sous un jour étonnamment sympathique : il a les mêmes aspirations que Scott (s'acheter une terre et du bétail), mais a simplement choisi une façon différente d'atteindre son objectif.
Frank : - Un homme devrait avoir quelque chose qui lui appartient et dont il peut être fier Brennan : - Et tu crois que c'est comme ça que tu vas l'obtenir ? Frank : - parfois on n'a pas le choix ... Brennan : - Vraiment ?
Dans le même extrait, à 7:00, revirement intéressant : Dans l'univers de Boetticher, même les truands ont un "code de l'honneur" et Frank, dégoûté de voir le nouveau marié offrir son épouse en rançon afin de sauver sa peau, n'hésite pas une seconde à le tuer ! ("I got sick of him, way down deep inside ..."). Brennan le confronte à nouveau sur ce choix:
Brennan : - Oui, ce qu'il a fait était mal, mais tu crois que c'était mieux de ta part de prétendre que tu marchais dans sa combine pour ensuite le tuer ? Frank : - Si tu ne vois pas la différence entre les deux, je ne te l'expliquerai pas ...
Même lorsqu'il est question d'amour, Brennan a des leçons de morale à donner ! ;-) Dans la scène suivante (0:00 à 1:49), il confronte sans ménagement la nouvelle mariée sur ses choix jusqu'à ce qu'elle admette qu'elle a épousé son salaud de mari uniquement pour ne pas finir toute seule ... Constatant sa grande vulnérabilité, Brennan profite de la situation, histoire de bien lui montrer que "parfois, il faut cesser d'attendre que les choses nous tombent du ciel et il faut aller les chercher " !! (Sacré Brennan ! Incroyable ce mec ... ;-)
Le même genre de dilemme moral est présenté dans le film COMANCHE STATION (1960). Tout le long du film, un jeune cowboy (Richard Rust) se questionne à savoir s'il doit prendre pour modele l'honorable Randolph Scott ou le truand (Claude Akins) avec qui il voyage depuis quelque temps. Son choix sera fait en fonction de ce qu'il "ressent à l'intérieur de lui comme étant la bonne chose à faire" ("... what feels good inside"), consideration plutot inhabituelle pour un western, et qui ne sera pas sans conséquence (SPOILER : séquence ci-dessous, à 8:15)
On peut voir comment Clint Eastwood, fan de Boetticher, a pu être influencé par son oeuvre. Son film UNFORGIVEN comprend une séquence digne de Boetticher où le jeune partenaire d’Eastwood (Jaimz Woolvet), qui vient de tuer un homme pour la première fois de sa vie, se met à pleurer. Eastwood lui dit alors, à la manière d’un Randolph Scott, la fameuse réplique « It’s a hell of a thing, killing a man … You take away all he’s got, and all he’s ever gonna have”, résumant ainsi toute la philosophie des westerns de Boetticher : on ne peut échapper aux conséquences de nos actes et a leur impact sur nos vies.
Mort en 2001, Boetticher se moquait un peu des westerns modernes. Il avait dit en entrevue (après avoir vu UNFORGIVEN, sorti en 1992) : “Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Les hommes de cette époque étaient des gens ignorants, sans éducation. Jamais un seul d’entre eux n’aurait dit une réplique du genre : “Ma mère était une prostituée qui a connu un homme qui lui a lancé de l’acide en plein visage et c’est depuis ce jour que je déteste l’humanité …” Voyons donc ! Ils ne pensaient pas comme ça ! ” En effet, les cowboys du Far-West n’étaient certainement pas des âmes tourmentées prenant plaisir à s’auto-psychanalyser. Ils étaient plutôt semblables aux héros des films de Boetticher : laconiques, humbles et désireux de faire “ce qu’ils ressentaient comme étant la bonne chose à faire.”
Un peu comme Boetticher d’ailleurs qui, après avoir réalisé d’excellents westerns, fit ensuite cavalier seul et passa le reste de sa vie à se consacrer au seul projet qui lui tenait vraiment à cœur : réaliser un documentaire sur la vie de son ami matador Carlos Arruza (ARRUZA (1972), projet de longue haleine qui allait lui coûter sa fortune, son mariage et sa santé.
Un coffret des meilleurs films de Boetticher est paru l'an dernier, agrémenté de présentations et commentaires de Clint Eastwood, Martin Scorsese et Taylord Hackford (voir ici).
Le coffret comprend un excellent documentaire (que l'on pouvait visionner sur Youtube jusqu'à tout récemment) sur la vie de Budd Boetticher, dans lequel Clint Eastwood (accompagné de Quentin Tarantino) avoue carrément avoir piqué des idées à Boetticher. L'extrait n'est plus disponible, mais le court documentaire ci-dessous donne un bon aperçu de la carrière de Boetticher.
Boetticher étant admiré à l’époque par les critiques des CAHIERS DU CINÉMA, il était inévitable que Godard y fasse allusion dans un de ses films. Dans A BOUT DE SOUFFLE, Belmondo et Jean Seberg vont dans un cinéma parisien. Quand ils en ressortent (à 1:03) , on peut lire le titre du film sur la marquise : WESTBOUND réalisé par Budd Boetticher en 1959.
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