Friday, May 4, 2012

PARLEZ-NOUS D'AMOUR (1976)

"Le talent moi, tu sais, ça fait longtemps que j'pense pus à ça ..."

 Le cinéma québécois des années soixante dix est tristement célèbre pour ses comédies vulgaires (Les deux femmes en or (1970), Les chats bottés (1971)) ou pour ces films que l'on appelait les 'Maples Syrup Porn' (Valérie (1969), L'initiation (1970)). Heureusement, il s'est aussi tourné durant cette période des films de qualité (La vraie nature de Bernadette (1972), L'eau chaude, l'eau frette (1976) et certains d'entre eux ont depuis atteint le statut de films cultes. C'est le cas du film PARLEZ-NOUS D'AMOUR de Jean-Claude Lord.

 Synopsis : Le film relate les tribulations de Jeannot (Jacques Boulanger jouant un peu son propre rôle), animateur de télé à la barre d'une émission de variétés très populaire auprès des femmes d'un certain âge. En pleine période de remise en question, il doit composer avec ses 'fans' envahissantes (Manda Parent, Rita Lafontaine), un mari jaloux (Jacques Thisdale), une conjointe amère (Monique Mercure), un agent profiteur (Claude Michaud) et un chanteur quétaine (Benoit Girard) envieux de sa popularité.

 Points forts : Ce n'est certes pas pour ses qualités esthétiques que l'on se souviendra de ce film (couleurs délavées, montage abrupt de scènes décousues, etc) mais pour ses excellents dialogues. Pas surprenant, puisqu'ils sont le fruit du génie de Michel Tremblay, dont ce fut l'une des rares incursions au cinéma (voir aussi, si vous pouvez le trouver, le classique IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L'EST (1974)). Tout comme dans ce dernier film, les personnages de PARLEZ-MOI D'AMOUR s'expriment dans un langage cru, direct et coloré (voir ci-dessous la scène hilarante où Benoit Girard et Jacques Boulanger discutent de leurs admiratrices). Le film dans son ensemble trace un portrait plutôt sarcastique et déprimant des coulisses du milieu artistique (TOUS les personnages sont arrivistes et ne pensent qu'à leur profit) et n'évite pas certains clichés (la jeune chanteuse qui se laisse tripoter par son gérant pour obtenir son premier contrat). On se souviendra surtout de l'excellente performance de Benoit Girard en chanteur quétaine qui sacre en coulisses mais adopte un faux accent français devant ses admiratrices, et de la pénible séquence où les membres invisibles de la régie réussissent à convaincre une femme passant une audition à se déshabiller complètement (d'autant plus incroyable qu'on nous prévient au début du film que 'ce film est inspiré d'évènements réels, ce n'est pas une histoire dûe (sic) à l'imagination débordante d'un auteur').


Thursday, February 9, 2012

DAUGHTERS OF DARKNESS - LE ROUGE AUX LEVRES (1971)



" Your husband dreams of making out of you what every man dreams of making out of every woman : a slave, a thing, an object of pleasure ..." Comtesse Bathory
Synopsis : Un couple de nouveaux mariés (Danielle Ouimet et John Karlen) en voyage de noces s'arrêtent un soir au gigantesque Hôtel des Thermes d'Ostende en Belgique. En ce début d'hiver, l'hôtel est complètement désert et le couple ne compte y séjourner qu'une seule nuit, mais leurs plans changeront avec l'arrivée de la mystérieuse comtesse Elizabeth Bathory (Delphine Seyrig) et de sa superbe compagne Ilona (Andrea Rau). En quelques jours, la présence de plus en plus envahissante de la comtesse aura un effet cathartique sur les nouveaux mariés qui se découvriront chacun sous un tout autre jour ...


Historique : En plus d'être un film culte très original tant dans sa forme que dans son récit, LE ROUGE AUX LEVRES est d'un intérêt particulier pour le public québécois en raison de la présence de Danielle Ouimet, ex-actrice recyclée depuis en animatrice de talk shows de toutes sortes (dont sept ans à la barre de l'émission BLA BLA BLA). En 1971, forte du succès du film soft-porn VALÉRIE (1969) dont elle était la vedette, Ouimet se rendit à Cannes pour la presentation du film hors competition (hé oui ! VALÉRIE a été présenté au Festival de Cannes !! Autre époque ... ;) et "en l'espace de 15 minutes", comme elle le révèle dans l'entrevue faisant partie des extras du DVD, elle fut engagée par le producteur du film LE ROUGE AUX LEVRES qui demeure, selon elle, "le meilleur film dans lequel elle ait jamais joué. » On la croit sur parole, quand on regarde les autres titres faisant partie de sa courte filmographie (ex : L'INITIATION (1970), Y A TOUJOURS MOYEN DE MOYENNER (1973), ...). Compte tenu qu'elle en était à ses débuts à l'époque du ROUGE AUX LEVRES et qu'elle jouait en ANGLAIS en présence d'acteurs beaucoup plus chevronnés, on peut dire qu'elle s'en tire très bien. Ouimet dit beaucoup de bien en entrevue de Delphine Seyrig qui, apparemment, l'a protégé plus d'une fois du tempérament excessif du réalisateur Harry Kumel.

Ce dernier fait preuve à la réalisation d'un grand sens visuel, aidé en cela par les superbes images du directeur photo Eduard Van Der Enden. Ils ont su exploiter au maximum le potentiel terrifiant de l'Hôtel des Thermes qui, après l'hôtel Overlook du SHINING, est probablement l'hôtel le plus sinistre jamais filmé. Kumel était un grand admirateur de Joseph Von Sternberg et il lui rend un peu hommage en filmant Delphine Seyrig de la même façon que Sternberg filmait Marlene Dietrich à l'époque (ex : la première apparition de Seyrig sortant de sa limousine et où elle est éclairée de sorte que l'on ne voie que sa bouche, ses yeux demeurant dans l'obscurité, sans parler des nombreux plans où elle est filmée en flou, etc.). Il est étonnant qu'un réalisateur aussi talentueux que Kumel n'ait pas connu une plus grande carrière, tellement son style semble avoir influencé plusieurs autres cinéastes. Par exemple, Kumel innove dans DAUGHTERS OF DARKNESS en ayant plusieurs fois recours au fondu au rouge, choix très inhabituel qui sera repris par Bergman dans son CRIS ET CHUCHOTEMENTS un an plus tard. Et la séquence tournée à Bruges durant laquelle Stefan et Valérie aperçoivent des ambulanciers transportant le cadavre d'une jeune fille assassinée rappelle énormément une séquence semblable tournée à Venise par Nicolas Roeg dans DON'T LOOK NOW trois ans plus tard. Kumel et son scénariste Pierre Drouot renouvellent le genre en limitant les effets gore (pourtant très populaires à l'époque dans les films d'horreur de la Hammer Films) et en mettant plutôt l'accent sur l'ambiance, qui, à mesure que le film progresse, devient de plus en plus perverse, le jeune marié se révélant être une brute sadique et infidèle dont l'épouse s'affranchira tranquillement, pour être ensuite facilement séduite par la comtesse (sous-thème légèrement féministe ici). Le rythme plutôt lent du film fait en sorte que les scènes de violence soudaine ont un impact accru auprès du spectateur (i.e. scène où le mari bat sa femme à coups de ceinture (ci-dessous), scène où celui-ci attire sous la douche une vampire qui craint l'eau courante, etc.).



Ajoutons aux nombreuses qualités du film la performance exceptionnelle de Delphine Seyrig (qui, à l'origine, ne voulait pas jouer dans le film mais en fut convaincue par son mari Alain Resnais) en comtesse vampire à la voix rauque tout droit sortie des années 30s (et bénéficiant d'une garde-robe d'époque bien fournie), l'excellente trame sonore de François de Roubaix, et le plan final, qui réussit à rendre un effet propre aux toiles du peintre Magritte : une scène nocturne qui, après un léger panoramique vers le haut, révèle une lumière diurne ...

Bande-annonce de DAUGHTERS OF DARKNESS :





Monday, December 13, 2010

LE MARTIEN DE NOEL (1971)



C'est la saison des fêtes, synonyme du retour à la télé des sempiternels grands classiques de Noël qui peuvent être drôles (Le sapin a des boules) ou moins drôles (The Santa Clause). Les livres CULT MOVIES mentionnent quelques films de Noël qui, avec le temps, sont devenus des films cultes, comme les classiques It’s a Wonderful Life (1946 avec James Stewart) et Miracle on 34th street (avec Nathalie Wood), ou le moins connu mais excellent A Christmas Story (1983, de Bob Clark) et le très psychotronique Santa Claus conquers the Martians (1964 avec Pia Zadora). Dans le genre, le Québec n’est pas en reste car en 1971, des années avant que Rock Demers ne produise son premier «Contes pour tous» (La Guerre des Tuques en 1984), il nous offrait, en collaboration avec Roch Carrier, l’excellent conte pour enfant LE MARTIEN DE NOËL réalisé par Bernard Gosselin et mettant en vedette Paul Hébert, Paul Berval, Guy L’Écuyer et Marcel Sabourin dans le rôle du martien.

Synopsis : Dans le village de Ste-Melanie, pres de Joliette, deux enfants découvrent une soucoupe volante habitée par un mystérieux martien qui devient vite leur ami, avant de retourner chez lui.

Points forts : Ce film est un peu l’ancêtre du E.T. de Spielberg et on y retrouve des similarités étonnantes : dans les deux cas, les enfants sont longtemps les seuls à connaître l'existence du martien et évitent d’en parler aux adultes; dans le film de Spielberg, E.T. bouffait des Reeses’s Pieces, alors qu’ici, le martien bouffe des Smarties et en offre aux enfants jusqu’à ce qu’ils en soient littéralement recouverts (voir l'extrait ci-dessous) ! ... et je trouve que la séquence où un des enfants frotte une allumette géante qui, une fois allumée, la transporte dans le ciel constitue un moment aussi réussi que la séquence de la bicyclette qui s’envole avec les enfants dans E.T. (voir extraits YOUTUBE ci-dessous).

Le martien de Noel (V.F.)




Autres aspect intéressants : Apparition caméo de Reine Malo en annonceuse radio au tout début du film ! Étonnant de voir aussi des scènes ou des enfants d'à peine 12 ans volent un ski-doo qui ne leur appartient pas !! (Mais, bon, c'est pour une bonne cause !)

Réplique mémorable : Guy L'Ecuyer racontant ce qu'il a vu la veille : "J'ai vu un oeuf gros comme un avion se poser dans le village ! Pis la poule qui l'a pondu entre pas dans mon poulailler !"

Friday, October 22, 2010

L'EAU CHAUDE, L'EAU FRETTE (1976)


André Forcier pris sur le vif lors du tournage du film LE VENT DU WYOMING (1994 - avec ici le directeur photo Georges Dufaux).


Surprise cette semaine : mon “sitemeter” (indicateur du nombre et de la provenance des visiteurs sur ce blogue), que je n’avais pas consulté depuis longtemps, m’apprend que ce blogue est maintenant majoritairement visité par des cinéphiles de la France (4 fois plus nombreux que les lecteurs du Québec, d'où il est pourtant rédigé !). Viennent ensuite les lecteurs du Québec, puis ceux de la Belgique (ce qui me rappelle qu’il faudrait bien que je parle un jour de l’excellent film culte belge C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ-VOUS !). Autre fait surprenant : les articles les plus visités sont ceux consacrés au film culte québécois LA POMME, LA QUEUE ET LES PEPINS (sans doute parce que c’est un film pratiquement impossible à trouver, même au Québec), au film KISS ME DEADLY (hmmm ? Amateurs de Nouvelle Vague ?) et, en première position, l'article sur la série L’ODYSSÉE (Alors la vraiment je suis bouche bée ! Pourquoi tant d’intérêt pour cette série obscure ?). Intéressant tout ca ! Ca permet de réajuster le tir …

J'en profite donc pour parler cette semaine d'un réalisateur québécois culte, André Forcier, dont les films ont presque tous atteint le statut de films cultes au Québec mais ont peu circulé en France (moins, en tout cas, que ceux d'un Denys Arcand ou d'un Xavier Dolan). Lors de son récent passage à l'émission TOUT LE MONDE EN PARLE, le journaliste Louis-Bernard Robitaille, auteur du livre La conquête de Paris : la saga des artistes québécois en France, a comparé André Forcier à un Fellini ou un Kusturica, déclarant que les films de Forcier ne marchaient pas en France en raison de la langue qui y était parlée (joual québécois), précisant que les versions traduites ou sous-titrées de ses films avaient très bien marché dans des pays comme l'Allemagne ou l'Argentine.

Je me ferai plaisir en choisissant le film de Forcier que j'aime le plus, c'est-à-dire L'EAU CHAUDE, L'EAU FRETTE sorti en 1976.

Synopsis : C'est l'anniversaire de Polo (Jean Lapointe), propriétaire véreux d'un édifice à logements coin Rachel et St-Denis à Montréal. Polo fait de l'argent en louant des chambres à une panoplie de paumés de la pire espèce (la vieille Mlle Vanasse (Anne-Marie Ducharme) qui cherche à séduire le vieux M. Croteau (Albert Payette) en charge d'organiser la fête de Polo, la belle Carmen (Sophie Clément) qui habite avec sa jeune fille Francine (Louise Gagnon) malade du coeur et très délurée..., etc.). Polo fait aussi du prêt usurier auprès de désespérés dont il profite sans scrupules. S'ajoutent à cette faune bigarrée Ti-Guy (Rejean Audet), jeune délinquant et copain de Francine et surtout Julien le livreur (excellent Jean-Pierre Bergeron), amoureux transi de Carmen mais trop timide pour le lui déclarer. Incapable de voir Carmen s'attacher de plus en plus à Polo, Julien prépare une vengeance qu'il compte assouvir le soir de l'anniversaire de ce dernier ...


Si je préfère L'EAU CHAUDE L'EAU FRETTE aux autres films de Forcier, c'est probablement parce qu'il est plus ancré dans la réalité que tous ses autres films auxquels on a souvent reproché leur côté trop "surréaliste" (AU CLAIR DE LA LUNE), ou trop peuplé de personnages tellement déjantés et excentriques qu'ils rendent difficile toute identification de la part du spectateur (ex : LA COMTESSE DE BATON ROUGE, LE VENT DU WYOMING). L'EAU CHAUDE L'EAU FRETTE, au contraire, nous plonge de façon souvent très crue dans la triste réalité de personnages misérables et criant de vérité qui tentent tant bien que mal de trouver le bonheur malgré les épreuves que la vie leur a balancé (le handicap de Francine) et les limites imposées par leur condition sociale (Carmen, sans le sou, est réduite par Polo à payer son loyer "en nature »).

Bizarrement, le film de Forcier me rappelle un peu le film AFFREUX SALES ET MÉCHANTS d'Ettore Scola (sorti la même année) puisqu'on trace dans les deux cas le portrait d'une famille (réelle dans le film de Scola, composée de locataires dans celui de Forcier) où tout gravite autour du personnage qui détient le pouvoir suprême, c'est-à-dire l'argent (argent caché et que l'on essaie maladivement de trouver dans le film de Scola ou argent que l'on doit emprunter ou remettre à Polo dans le film de Forcier). Or là où Scola traçait un portrait dégradant de personnages sans scrupules et prêts à tout pour mettre la main sur de l'argent (même à tuer leur père !), Forcier, lui, met en scène des personnages qui, bien que misérables, n'en perdent pas pour autant leur humanité et parviennent à s'accrocher à des moments de bonheur passager qui suffiront, un temps, à les réconforter : Julien le livreur qui réussit enfin à convaincre Carmen à faire un tour avec lui sur son sidecar, M. Croteau qui, durant la fête, s'entête à réciter des poèmes devant un public hostile (- Mes amis, mes amis ! - On n'est pas tes amis ! ), la vieille dame (Mlle Vanasse) qui tente désespérément de séduire M. Croteau (- Croyez-vous que je devrais me donner à lui ?) et Francoise, la propriétaire du Snack Bar, qui bouffe constamment les chocolats qu'elle vend et qui, après la fête, remplit sa sacoche avec les restes de bouffe et part avec la tête de cochon sous le bras !! (voir extrait ci-dessous). Chacun trouve son bonheur là ou il le peut …



Forcier injecte une bonne dose d’humour au film (il faut voir Julien utiliser le pacemaker de Francine pour "booster" le moteur de son sidecar !) et fait une courte apparition caméo en client du snack bar accompagné de Carole Laure. On appréciera aussi la scène suivante durant laquelle Francine s'enferme dans une chambre et ou chacun des personnages essaie à sa facon de la convaincre de sortir :



Côté mise en scène, on peut apercevoir durant la scène de la fête de Polo la future chroniqueuse artistique Francine Grimaldi (!) qui reprend un peu le rôle de fille facile qu'elle interprétait dans LA POMME, LA QUEUE ET LES PEPINS ....

BONUS : Images prises sur le vif du tournage du film LE VENT DU WYOMING par l'auteur de ce blogue qui est tombé par hasard sur Forcier et son équipe à l'oeuvre près de la rue Peel à Montréal (Hiver 1994). Forcier (au centre, avec tuque et écouteurs) tentait avec humour de contrôler le chaos inhérent à un tournage extérieur et sa bonne humeur était contagieuse.



Thursday, September 23, 2010

THE SILENT PARTNER (1978)



En 2007, Lions Gate a fait plaisir à de nombreux cinéphiles en offrant ENFIN en DVD une version potable du film canadien THE SILENT PARTNER, thriller culte des années 70s dont le scénario fort habile (gracieuseté de Curtis Hanson, alors à ses débuts, qui adapte ici un roman danois de Anders Bodelsen) n'est pas sans rappeler le CHARLEY VARRICK de Don Siegel (ici).

Synopsis : Miles Cullen (Elliot Gould) est un employé de banque timide et célibataire dont la vie routinière aurait besoin d'une bonne dose d'adrénaline. Cette dose lui tombe du ciel sous la forme de Harry Reikle, (Christopher Plummer, dans un contre emploi étonnant), voleur particulièrement sadique qui braque sa banque et réussit à prendre la fuite avec $ 2 000 dollars. Le hic, c'est que les journaux parlent le lendemain d'un vol de plus de $ 50 000 dollars ! C'est que Miles avait prévu le coup et s'est arrangé pour que la plus grande partie du magot "volé" se retrouve en fait dans un coffre bancaire personnel dont lui seul possède la clef ! Plan ingénieux et apparemment sans failles, si ce n'était de l'entêtement de Reikle qui est prêt à tout pour mettre la main sur l'argent qui lui a été si habilement subtilisé par Miles. Commence alors un dangereux jeu de chat et de souris entre les deux "partenaires", Miles se révélant un adversaire aussi redoutable que Reikle ...

Sur la couverture des livres CULT MOVIES de Danny Peary, ce dernier décrit les films cultes à l'aide de quatre qualificatifs : THE CLASSICS (les classiques), THE SLEEPERS (les films qui sont passés inaperçus), THE WEIRD (les films étranges) et THE WONDERFUL (les films merveilleux). Je crois qu'aucun film ne définit mieux le concept de "sleeper film" que THE SILENT PARTNER, film canadien qui, à sa sortie en 1978, est passé complètement inaperçu (malgré d'excellentes critiques, dont celle de Roger Ebert, ici) mais qui, au fil des années, a tranquillement trouvé son public (voir tous les commentaires élogieux sur le site imbd).

Pas surprenant, remarquez, puisque le film bénéficie d'un scénario bien ficelé qui ne comprend pas d'incohérences flagrantes, ce qui est trop souvent le cas dans ces "thrillers" modernes trop axés sur l'action et la surenchère d'effets spéciaux au détriment de la logique. Dans THE SILENT PARTNER, tout se tient et les personnages agissent probablement de la même façon que le ferait le spectateur moyen. L'effet est accru du fait que le protagoniste principal (Elliot Gould) est un Monsieur-tout-le-monde anonyme avec lequel il est facile de s'identifier et qui se retrouve tout d'un coup impliqué dans des évènements extraordinaires dont il parvient ingénieusement à tirer profit. (Intéressant débat moral et éthique ici, puisqu'on se retrouve à vouloir le voir triompher alors qu'il est en fait lui-même un voleur (comme dans CHARLEY VARRICK) ! Ce genre de personnage à la morale "élastique" reviendra souvent dans les autres films de Curtis Hanson (L.A. CONFIDENTIAL, BAD INFLUENCE, etc..).

Autres éléments intéressants : le film ayant été financé par le programme de crédits d'impôt canadien, on y retrouve des éléments typiquement canadiens qui peuvent faire sourire aujourd'hui (tournage principalement effectué au Centre Eaton de Toronto, drapeau canadien visible dans plusieurs séquences, excellente trame sonore du jazzman canadien Oscar Peterson (!), et présence dans les rôles secondaires d'un très jeune John Candy (rôle presque muet) et de la superbe actrice québécoise Céline Lomez dont le personnage connaît une fin particulièrement atroce (voir extrait ci-dessous).

Le succès du film repose essentiellement sur le duel d'acteur Gould/Plummer, les deux offrant des performances inoubliables, Gould étant moins maniéré qu'à l'habitude et Plummer composant un personnage de psychopathe tout à fait crédible et terrifiant. On appréciera entre autres la scène où Plummer, dont on n'aperçoit que les yeux à travers la fente de la porte de l'appartement de Gould, prévient ce dernier qu'il ne reculera devant rien pour atteindre son objectif.

Tout apprenti scénariste pourrait tirer des leçons de ce film sur la façon de créer des personnages secondaires intéressants : le personnage joué par Susannah York, entre autres, en est un bel exemple. Elle n'apporte rien au développement de l'intrigue (sinon qu'un "love interest" vite oublié dès qu'apparaît le personnage de Céline Lomez) MAIS Hanson en fait quand même un personnage crédible de dépendante affective complètement paumée qui couche avec son patron marié tout en démontrant un intérêt marqué pour le mystérieux Miles. Ce dernier, à mesure qu'il déjoue les pièges de Plummer, devient de moins en moins timide et de plus en plus audacieux, son personnage faisant ainsi montre d'une réelle évolution psychologique tout le long du film. Le film est rempli de moments qui n'avancent nullement l'intrigue mais qui mettent à jour des aspects amusants de certains personnages

Bref, un film remarquable à tous points de vue, plein de revirements inattendus et que l'on peut maintenant redécouvrir en DVD (malgré une pochette plutôt mal foutue qui n'a rien à voir avec le film et sur laquelle on retrouve une grossière erreur ! (Ils ont écrit Suzanne York au lieu de Suzannah York !! Faut le faire quand même ! Voir pochette ici).

Avertissement : bizarrement, le film comporte une scène gore qui détonne complètement avec le reste du film et qui risque de choquer certaines âmes sensibles (voir ci-dessous la scène où Christopher Plummer tue Céline Lomez d'une façon horrible !

Thursday, September 2, 2010

TWO-LANE BLACKTOP/THE VANISHING POINT (1971)



" If I'm not grounded pretty soon, I'm gonna go into orbit ..." Warren Oates dans TWO-LANE BLACKTOP

De nombreux films cultes le deviennent en raison du mystère/légendes urbaines qui circulent à leur sujet (ex : Comment David Lynch a-t-il réalisé les effets spéciaux du bébé-monstre de ERASERHEAD (secret qu’il n’a encore jamais dévoilé) ? etc.).

D’autres le deviennent parce qu’ils sortent en salles à un moment formidablement opportun et que toute une génération de spectateurs s’identifient allègrement aux personnages principaux (on pense tout de suite à EASY RIDER ou à THE GRADUATE, à la fois films cultes ET grands succès commerciaux de la fin des années 60). Dans la même veine et à la même époque, on retrouve aussi ces deux films cultes existentialistes moins connus que sont VANISHING POINT (1971) (v.f. POINT LIMITE ZERO) et TWO-LANE BLACKTOP (1971) (v.f. MACADAM A DEUX VOIES), véritables hommages au culte que vouent les américains à l’automobile.


Synopsis : Dans VANISHING POINT, un vétéran du Vietnam appelé Kowalski (Barry Newman) décide sur un coup de tête qu'il va conduire sa Dodge Challenger 1970 de Denver à San Francisco en un temps record, faisant fi des lois et de la police qui est vite à ses trousses. Sur la route, il rencontre divers représentants de la contre-culture hippie de l'époque qui, d'une manière ou d'une autre, lui viennent en aide, le tout au son d'une excellente trame sonore des années 70s. TWO-LANE BLACKTOP est un film à l'image de ses deux protagonistes : peu bavard et dénué d'émotion. En fait, on pousse la symbolique existentialiste jusqu'à ne pas donner de noms aux personnages principaux ! Ainsi, le Conducteur (le chanteur James Taylor) et le Mécanicien (Dennis Wilson, ex-batteur des Beach Boys) ne vivent que pour rafistoler leur Chevrolet 55 et participer à des courses de hot-rods. Sur la route, ils rencontrent l'excentrique et verbomoteur Warren Oates au volant de sa GTO. Ce dernier leur propose une course à laquelle ils participent sans grand enthousiaste, jusqu'à ce qu'ils y perdent tout intérêt et qu'ils retournent à leur seule et véritable passion : les courses de hot-rods.

Points forts : VANISHING POINT possède quelque chose qui fait terriblement défaut à TWO-LANE BLACKTOP, soit une trame sonore entraînante faite de grands succès de l'époque (on les retrouve presque tous sur YOUTUBE). Et puis il est beaucoup plus facile de s'identifier au sympathique rebelle qu’est le Kowalski de VANISHING POINT qu'aux deux anonymes protagonistes de TWO-LANE BLACKTOP qui vivent dans leur bulle et se foutent complètement des gens qu'ils rencontrent sur la route (dont une jeune hippie (la Fille) qui entre et sort de leur voiture au gré de ses humeurs et à laquelle ils ne prêtent aucune attention). Je comprends que le réalisateur Monty Hellman cherchait à illustrer le vide existentiel de ces deux fous de la vitesse, mais si ce n'était de la vibrante performance de Warren Oates en conducteur complètement déjanté, ce film serait d'un ennui Antonioniesque . Dommage que le réalisateur ait choisi au montage de retirer les scènes qui nous en apprenaient plus sur les motivations des personnages (comme il l'avoue dans le commentaire qui accompagne le film). La version CRITERION du film offre un livret comportant l'excellent scénario original complet qui nous donne une meilleure idée de ce que ce film aurait pu être ...
VANISHING POINT bénéficie entre autres du travail du talentueux directeur photo John A. Alonzo, dont les superbes images donnent carrément le goût d'aller se perdre en voiture sur les routes désertiques du Névada. Et, malgré ses défauts, TWO-LANE BLACKTOP comporte une des finales les plus hallucinantes (pour ne pas dire complètement pétée et psychédélique) qui soit, donnant tout son sens à ce qu'on appelait à l'époque un HEAD Movie, soit un film à voir sous l'effet de substances illicites ... (voir extrait ci-dessous). Et puis il y a la performance exceptionnelle de Warren Oates, qui porte le film sur ses épaules ... « Those satisfactions are permanent ! »


Citation : TWOLANE BLACKTOP : Warren Oates, exprimant sa quête existentielle comme lui seul peut le faire :
« If I'm not grounded pretty soon, I'm gonna go into orbit ! »
(Si je ne me pose pas quelque part bientôt, je vais partir en orbite !)


Une des nombreuses pieces musicales de VANISHING POINT disponible sur YOUTUBE :



Warren Oates (TWO-LANE BLACKTOP) : " Just colour me gone, Baby !" (3:44)



Finale psychedelique de TWO-LANE BLACKTOP (vers 3:12): "Those satisfactions are permanent ..."

Tuesday, July 27, 2010

SECONDS (1966)




Recommencer votre vie à zéro, dans un environnement différent, dans un CORPS différent, ça vous dirait ? Et que seriez-vous prêt à sacrifier pour cette seconde chance ? C’est le genre de question que pose le film culte SECONDS de John Frankenheimer.


Synopsis : Arthur Hamilton (John Randolph) est un banquier de 50 ans qui semble tout avoir pour être heureux : belle situation, demeure cossue, épouse attentionnée, fille bien mariée, etc. Mais les premières images du film nous le montre pourtant triste, déprimé et incapable de faire l’amour avec sa femme tellement leur relation est devenue routinière. C’est pourquoi il ne peut résister à l’offre qui lui est faite par " la Compagnie ", une organisation qui, moyennant une forte somme d’argent, propose à Arthur de simuler sa propre mort (via un incendie rendant son "cadavre" méconnaissable) pour le faire renaître (via la chirurgie plastique) à une toute nouvelle vie et dans un nouveau corps (Rock Hudson). Mais pourra-t-il enfin trouver le bonheur ?


Points forts : Il faut reconnaître le courage de Frankenheimer d’avoir osé porter à l’écran un récit si déprimant et peu commercial, et de l’avoir fait de façon aussi captivante. Le ton est donné dès le générique d’ouverture : partition musicale d’épouvante (à l’orgue d’église) de Jerry Goldsmith, images distortionnées, abondance (surabondance ?) de caméra à l’épaule (et même, des années avant Aronofsky, recours à la snorricam (caméra attachée sur l’acteur) pour provoquer cet effet de flottement si déstabilisant), bref, tout l’aspect visuel et sonore du film illustre à merveille le vide intérieur du personnage principal et sa sensation d’isolement face au monde qui l’entoure. Sensation qui disparaît complètement dès qu’il rencontre le directeur de la Compagnie (un vieillard !) qui lui offre une nouvelle vie. Tout semble rentrer dans l’ordre lorsqu’il réapparaît sous les traits de Rock Hudson et qu’il commence sa nouvelle vie d’artiste peintre célibataire (portant le nom de Tony Wilson) entouré d’amis branchés. Mais la lune de miel ne dure pas longtemps ...

Tranquillement, Arthur/Tony se met à regretter son ancienne vie, ce que de nombreux critiques n’ont pas compris à l’époque de la sortie du film. "Le film ne réussit pas à expliquer pourquoi Arthur/Tony devient si désenchanté de sa nouvelle vie " pouvait-on lire. Mais a-t-on besoin d’une telle explication ? Il me semble que le message est pourtant bien clair : à quoi cela sert-il de changer notre environnement ou notre corps (via la chirurgie plastique, le gym, etc) quand c’est notre âme qui est malade ! Et puis l’explication est subtilement (trop subtilement peut-être ?) donnée dans le film durant cette superbe scène où Arthur/Tony rend visite à son ex-épouse qui le croit mort. Se faisant passer pour un ex-ami de son "défunt mari", il la questionne à son sujet. Elle lui répond que son ex-mari (Arthur) " a passé sa vie à travailler si dur pour obtenir ce qu’on lui avait appris a desirer que, quand il l'a obtenu, il est devenu de plus en plus confus et triste. En fait, il était mort bien avant qu’il ne meure dans cet incendie."

Cette révélation bouleverse Arthur/Tony, qui comprend soudainement ce qui n’allait pas dans sa première vie (et qui ne va toujours pas dans sa seconde vie). Il en discute avec le directeur de la compagnie :

Tony : - Je sais que je n'avais pas le droit d'entrer en contact avec mon ex-femme, mais il fallait que je comprenne ce qui n'avait pas marché ... Toutes ces années que j'ai perdues à obtenir ces choses que les gens prétendaient être si importantes ... Des choses ! pas des êtres humains ... ou un sens à ma vie ... DES CHOSES !
Directeur : - J'espérais que vous puissiez réaliser votre rêve dans votre nouvelle vie ...
Tony : - Je crois que je n'ai jamais eu de rêve ...
Directeur : - C'est sûrement là que se trouve l'explication ...


Ce triste constat mène à une séquence finale inoubliable de cynisme et de cruauté.

Générique de SECONDS (concu par Saul Bass) dont certaines images seront réutilisées des années plus tard par Martin Scorsese pour le générique de CAPE FEAR :




Citation : Le directeur de la compagnie cherchant à convaincre Arthur du bienfait de l’opération :

Directeur - Vous ne manquerez à personne.
Arthur - Il y a ma femme !
Directeur - Vraiment ? Et qu'êtes-vous à ses yeux maintenant ?
Arthur - (soupir) ... Nous nous entendons ... Sans plus ... mais il y a ma fille.
Directeur - Vraiment ?
Arthur - En fait, nous ne la voyons plus vraiment depuis qu'elle est mariée ...
Directeur - Tout ce que vous énumerez, qu'est-ce que ça représente maintenant ? Rien du tout !
Arthur - (soupir) Je n'y avais jamais réfléchi ...


Bande annonce de SECONDS :